- AKINARI U.
- AKINARI U.Conteur délicat et savant philologue, moraliste misanthrope et pessimiste, critique mordant, mais lucide jusque dans ses haines, homme de lettres dont la passion de l’écrit fut l’unique raison de vivre, Ueda Akinari est, sans conteste, la figure la plus attachante et l’écrivain le plus authentique de la littérature japonaise du XVIIIe siècle.BiographieIl est peu d’hommes dont la vie soit à ce point inséparable d’une œuvre dont elle éclaire la genèse et la signification. Son enfance avait été celle d’un de ces personnages de roman qu’affectionnaient les auteurs du début de son siècle. Né en 1734 au quartier des plaisirs d’ 牢saka, d’une courtisane et d’un père inconnu, il avait été adopté en 1737 par un certain Ueda, riche marchand qui n’avait pas d’héritier. Gravement touché par la variole à quatre ans, il survécut, mais ses doigts restèrent déformés et ses yeux affaiblis. Choyé par ses parents adoptifs, il mena après son enfance insouciante, la vie oisive de la jeunesse dorée d’une bourgeoisie active certes, mais dont l’impuissance politique n’avait d’autre diversion que la recherche des plaisirs. Cette vie dissolue cependant lui pesait, et, bientôt, il cherchait à pallier l’insuffisance d’une éducation quelque peu négligée, par la lecture assidue et désordonnée des classiques japonais et chinois, par la pratique du haikai aussi, qui était le divertissement à la mode dans la classe aisée. Il se félicitera plus tard d’avoir été toujours un autodidacte, ce qui lui aura épargné la sclérose intellectuelle due au respect stérile pour les «maîtres». Mais, pour l’heure, son ambition se bornait à l’imitation des conteurs frivoles de sa ville, et, vers la trentaine, il publiait coup sur coup deux recueils d’ukiyo-z 拏shi , qui comptent parmi les meilleurs du genre. Mais déjà, sous les conventions qu’imposait la forme, perçaient l’ironie amère et l’esprit sarcastique d’Akinari.La même année 1766 fut celle d’une rencontre décisive: l’illustre philologue Kat 拏 Umaki (1720-1777) s’établissait à 牢saka, et le jeune Ueda se mettait aussitôt à l’école de celui qui devint pour lui le modèle et l’ami, le seul dont il consentit jamais à reconnaître l’influence. Ce fut une révélation: Akinari découvrait sous un jour nouveau la poésie archaïque du Man.y 拏-sh , la fraîcheur de l’Ise-monogatari , la savante harmonie du Genji-monogatari . Ce retour aux sources l’incitait bientôt à remettre en question ses propres conceptions en matière de style et de langue, et, dès 1768, il ébauchait les Contes de pluie et de lune qui ne parurent qu’en 1776, quand d’incessantes retouches en eurent fait un chef-d’œuvre qui servira de référence aux romanciers de la première moitié du XIXe siècle.Cependant, la mort de son père, en 1761, l’avait placé, malgré lui, à la tête d’un important commerce, dont un incendie ruineux le délivrait en 1771. Il fallait vivre: il imagina de se faire médecin, profession qu’il exerça de 1774 à 1788, avec tout le sérieux et le dévouement de sa nature, sans pour autant abandonner ses travaux littéraires qu’il feignait de tenir pour un pur divertissement, mais qui, de plus en plus, le consolaient de ses déboires professionnels. La mort d’un malade, qu’à tort ou à raison il se reprocha, le détourna définitivement d’une science dont il avait mesuré les cruelles incertitudes, et il consacra désormais tout son temps à l’écriture.Mais la vie était dure pour qui prétendait vivre de sa plume dans une métropole où l’or faisait la foi; aussi décida-t-il, en 1793, d’aller s’établir à Ky 拏to, la capitale, où les lettres étaient encore à l’honneur. C’est là qu’il vécut ses dernières années, séjournant tantôt dans des monastères, tantôt chez un disciple, besogneux et acharné au travail, en dépit d’une longue suite de malheurs: mort de sa femme en 1797, perte d’un œil, manque d’argent toujours. Son œuvre même finit par lui paraître futile, au point qu’en 1807, il en vint à jeter quatre-vingt cahiers de manuscrits dans un puits; par bonheur, des disciples en avaient déjà recopié un certain nombre. Cet accès de découragement ne l’empêcha d’ailleurs nullement d’écrire jusqu’à son dernier jour. Il mourut en juillet 1809.L’œuvre d’AkinariPour la postérité, Akinari est avant tout l’auteur des Contes de pluie et de lune (Ugetsu-monogatari ). Dans ces neuf Contes fantastiques de jadis et naguère , il rompait délibérément avec le style et la manière des ukiyo-z 拏shi inaugurés au siècle précédent par Saikaku, et auxquels il avait lui-même sacrifié dans ses deux recueils de 1766: Le Singe mondain à l’écoute sur tous les chemins (Shod 拏 Kikimimi seken-zaru ) et Caractères de femmes entretenues (Tekake Katagi ). À la construction elliptique et au rythme rapide, voire heurté, des ukiyo-z 拏shi , inspirés de la technique du haikai , il substituait une période plus ample, un ton plus soutenu suggéré par l’étude de la langue des grands classiques de l’époque de Heian et de la métrique des waka . On reconnaît au passage l’influence du Man.y 拏-sh , du Genji-monogatari , des épopées du XIIIe siècle, des livrets du n 拏 . Certains de ces contes sont transposés du chinois, mais avec une perfection telle que rien, sinon le canevas, ne subsiste de l’original. Avec l’Ugetsu , Akinari avait d’emblée découvert un style qui renouait avec les plus grandes époques du passé, et qui pour plus d’un demi-siècle s’imposera à toute la littérature romanesque du Japon; un genre nouveau était né, celui des yomi-hon qu’illustra Bakin (1767-1848)Les Contes des pluies de printemps (Harusame-monogatari ), recueil posthume rédigé dans les dernières années de sa vie, inachevé, et dont près de la moitié vient seulement d’être retrouvée, contiennent, à côté de récits historiques ou fantastiques dans la manière de l’Ugetsu , des pièces dont la trame sert uniquement de prétexte à des discussions poétiques.L’analyse critique de la poésie ancienne était en effet la préoccupation majeure d’Akinari, et l’essentiel de son œuvre philologique consiste en éditions critiques et analyses des anthologies classiques, principalement du Man.y 拏-sh . Tel est le thème de son œuvre maîtresse, Poudre d’or (Kinsa , 1804), en dix livres.Lui-même avait du reste composé un grand nombre de waka , cherchant, par-delà le «maniérisme» des anthologies du Moyen Âge, à retrouver la spontanéité du Man.y 拏-sh ; l’essentiel en est réuni dans le recueil intitulé Tsuzura-bumi , en six livres (1806)À noter encore son exégèse de l’Ise-monogatari , parue en 1793, qui reprend et complète les travaux de son maître Kat 拏 Umaki. La critique littéraire proprement dite est représentée par les Notes téméraires et circonspectes (Tandai-sh 拏shin-roku , 1808), suite de remarques incisives et dépourvues d’aménité sur divers auteurs, ses contemporains pour la plupart; s’il étrille, là comme ailleurs, son ennemi personnel, le fameux Motoori Norinaga (1720-1801), avec qui il avait polémiqué sa vie durant, il s’y dépeint lui-même sans ménagement; de l’ensemble se dégage un ton que l’on pourrait presque dire voltairien.
Encyclopédie Universelle. 2012.